MADAME DE VITRÉ, FAVIÈRES, sombre et agité, ALBERT.
FAVIÈRES.
Albert, je vous cherchais; j'ai besoin de vous, mon jeune ami.
ALBERT.
Ah! mon jeune ami, je ne m'appartiens pas!
FAVIÈRES.
Il s'agit d'une affaire très-grave. J'ai un service personnel à vous demander.
MADAME DE VITRÉ.
Comment?
FAVIÈRES.
Vous aviez raison, vous... elle me jouait, elle me jouait impudemment. Ils m'ont traité comme un Cassandre de comédie, comme un bonhomme de paille !
MADAME DE VITRÉ.
Qui donc ça?
FAVIÈRES.
Madame d'Aubières et d'Espars... mais j'en aurai vengeance. Albert, vous serez mon témoin.
ALBERT, avec impatience.
Ah ! mon ami...
MADAME DE VITRÉ.
Mais, Dieu du ciel! que s'est-il donc passé?
FAVIÈRES.
Vous avez vu ce bouquet, qu'elle m'avait confié... En vous quittant, j'ai voulu le lui rendre... « Non... m'a-t-elle dit, gardez le encore, s'il ne vous gêne pas ; je vous l'enverrai redemander.» Je donne dans le piège... je continue de me promener à travers les salons, en portant, comme une châsse, cet infâme bouquet!... Imbécile !...
ALBERT.
Qui donc?
FAVIÈRES.
Moi, parbleu! Tout à coup d'Espars m'aborde d'un air affairé, et, au nom de madame d'Aubières, me le redemande en toute hâte. Je crois qu'elle va partir ; je m'imagine... je ne réfléchis pas... Bref, je donne dans le piège comme une oie... je lui rends le bouquet. A peine l'a-t-il entre les mains, que je le vois s'arrêter entre deux portes, fouiller dans le buisson de fleurs- et en tirer un billet!
MADAME DE VITRÉ.
Ah ! le serpent ! (Albert rit à part.)
FAVIÈRES.
Je leur avais servi de messager, de facteur, de paravent. Vous comprenez la rouerie de cette triple coquette?... Remettre de sa propre main le bouquet à son complice, c'était éveiller l'attention, faire naître les soupçons... Tandis que, grâce à mon entremise, la chose prenait un tour naturel et irréprochable. Puis, je les ai vus rire tous deux en me regardant. Fat ! créature ! Est-ce que vous riez aussi, vous, par hasard?
MADAME DE VITRÉ, se contenant.
Non, mon ami... Au contraire, je trouve cela fort triste ; mais si vous m'aviez écoutée...
FAVIÉRES.
On n'en rira pas longtemps, en tout cas. -Albert, il faut que vous alliez immédiatement trouver de ma part cet insolent damoiseau... L'heure, les armes, tout m'est indifférent; mais...
MADAME DE VITRÉ.
Est-ce que vous êtes fou? Est-ce que vous ne sentez pas tout ce qu'un scandale de ce genre a de messéant à votre âge? Vous voulez donc que tout Paris vous traite de dupe ridicule? Réfléchissez un peu, mon ami... Vous seul pouvez ébruiter l'aventure; car Albert et moi nous vous jurons un secret inviolable. (Albert fait un geste d'assentiment.) Quant à eux, leur intérêt vous répond de leur discrétion. - Croyez-moi, prenez l'affaire en plaisanterie ; traitez-la comme une innocente pratique d'amoureux ; parlez-en même sur ce pied-là tout doucement à madame d'Aubières ; riez-en le premier, et elle ne rira plus, je vous le garantis. Voilà tout ce que vous avez à faire, voyez-vous !
ALBERT.
Parbleu! c'est évident, mon ami. Croyez ma mère... c'est la mère aux bons conseils... Elle parle d'or, ma mère !
FAVIÈRES, après réflexion, brusquement.
Vous avez raison... je vais me coucher. (Il s'éloigne à grands pas.)
ALBERT.
Eh attendez donc, je vous suis !
MADAME DE VITRÉ, lui barrant le passage.
Restez, vous dis-je! (Albert revient dépité.)