LA ROSERAIE, ALBERT. (La Roseraie, près de la porte, suit de l'œil madame de Vitré.)
ALBERT, à part, sur le devant de la scène.
Que veut dire cela? Est-il possible qu'elle ait découvert?... Eh! non, ce sont des traits lancés au hasard. Quoi qu'il en soit, il faut absolument que je m'échappe. Manquer à ce rendez-vous!... Non, non, c'est impossible. (Il veut sortir.)
LA ROSERAIE, se retournant.
Holà! halte !
ALBERT.
Voyons, La Roseraie !
LA ROSERAIE.
Tout beau !
ALBERT, avec impatiente.
Mon ami !
LA ROSERAIE.
Ne bougeons pas !
AL BERT.
Par la porte ou par la fenêtre, La Roseraie, il faut que je sorte!
LA ROSERAIE.
Prends donc la fenêtre ; car, quand même je manquerais à ma consigne, voilà ta mère là-bas qui te guette au passage.
ALBERT, regardant à gauche.
C'est vrai ! quel désespoir!
LA ROSERAIE, se laissant tomber sur le divan.
Ah çà! qu'y a-t-il donc, jeune homme?... Une amourette?... un rendez-vous, hein?
ALBERT.
Le premier ! Jugez de ma situation!
LA ROSERAIE.
Eh ! de quoi diantre se mêle ta mère, aussi? Est-ce que cela la regarde?
ALBERT.
N'est-ce pas? (Il se promène avec agitation.)
LA ROSERAIE, couché sur son divan.
C'est une faute de conduite, ça... Ce n'est pas que je t'approuve ; mais que diable ! la jeunesse est la jeunesse... Il faut faire la part du feu et détourner la tête... Voilà la vraie politique maternelle, en pareil cas.
ALBERT, avec humeur.
N'est-ce pas?... (A part.) Ah! quel martyre!
LA ROSERAIE.
Prends patience I... Dès que ta mère sera revenue, je lui parlerai, je lui ferai entendre raison. Tu t'esquiveras pendant ce temps-là. (Il se met à lire.)
ALBERT , avec impatience et embarras.
Vous ne la convertirez pas, je vous assure... et puis, il sera trop tard. Avant d'aller à ce rendez-vous, il faut encore que je passe au Palais-Royal, chez madame Prévost, pour y prendre un bouquet que j'ai commandé. Ah ! quel supplice, mon Dieu !
LA ROSERAIE, distrait, lisant.
Pauvre garçon!
ALBERT.
Ne me plaignez pas, La Roseraie, ne me plaignez pas, je vous en supplie... cela m'achève. Ma position est infernale.
LA ROSERAIE.
Je ne te plains pas... mais tu m'ennuies...
ALBERT.
Ce n'est pas ma faute.
LA ROSERAIE.
Je ne comprends rien à cette dépêche... tais-toi, que diantre !
ALBERT.
Je ne puis pas, je suis fou.
LA ROSERAIE, avec impatience, dérangé dans sa lecture.
Ah! ta mère croit-elle que je n'aie rien de mieux à faire que de?... Et toi, est-ce que tu ne peux pas te tenir en repos?... Tu es comme un tigre en cage. Qu'est-ce qu'il y a donc de si pressant, de si désespéré?... Demain n'est-il pas là? Voyons, honore-moi de ta confidence... je te promets que tu n'auras pas lieu de t'en repentir.
ALBERT.
C'est impossible... vous me demandez l'impossible, mon ami.
LA ROSERAIE.
Je te dis que tu t'en féliciteras ensuite.
ALBERT.
Eh ! non, que diable !
LA ROSERAIE.
Quelle discrétion ! Est-ce que je connais la dame?
ALBERT.
Oh! je ne sais... je ne pense pas.
LA ROSERAIE.
Ah! dame, si c'est réellement le premier rendez-vous, il est fâcheux de le manquer, je t'en avertis.
ALBERT.
Merci !
LA ROSERAIE.
Car, vois-tu, mon garçon, un second rendez-vous, ça se retrouve toujours ; mais un premier... eh! eh! c'est plus douteux. Les réflexions peuvent survenir, si on leur en donne le temps.
ALBERT.
Eh ! sans doute, surtout dans une âme si hésitante, dans cette conscience de sensitive.
LA ROSERAIE.
Ah ! c'est une conscience...
ALBERT.
Aussi, sans certains chagrins intimes... qui me secondent.
LA ROSERAIE.
Ah! l'infidélité, les torts du mari, eh?
ALBERT.
Je ne vous dirai pas.
LA ROSERAIE, riant.
Oui... on serait battu les trois quarts du temps, si le mari n'était là, puissant allié, qui s'ignore lui-même. Or çà, finissons... attrape cette clé ! Hop ! (Il lui jette une petite clé, restant toujours assis.)
ALBERT, saisissant la clé au vol.
Cette clé!... qu'est-ce que c'est?
LA ROSERAIE.
Fais-moi la faveur d'ouvrir cette porte.
ALBERT.
Cette porte?... mais... pourquoi?...
LA ROSERAIE.
Ouvre, te dis-je. (Albert, après un nouveau geste d'étonnement, ouvre la porte, de droite.)Et maintenant, mon garçon, cette porte qui te mène tout droit sur le boulevard, est ce que nous appelons, en langage diplomatique, un faux fuyant, une échappatoire, une solution !... Bon voyage!
ALBERT.
Vous voulez?...
LA ROSERAIE.
Je veux que tu me procures l'avantage de me débarrasser de ta présence... et d'ailleurs, je ne suis pas fâché de donner cette petite leçon à ta mère. Eh bien! tu n'es pas parti?
ALBERT.
Mon ami, en vérité, je ne puis profiter...
LA ROSERAIE.
Comment! et quelle raison bizarre aurais-tu?...
ALBERT, vivement.
Aucune... je n'en ai aucune... mais ma mère...
LA ROSERAIE, jetant avec ennui ses papiers sur le divan et se levant.
Ah çà! quel amoureux est-ce là? Puisque je me charge de ta mère, te dis-je ! Tiens, la voici qui revient justement.
ALBERT.
Ah! Dieu!
LA ROSERAIE.
Sauve-toi, ou rends-moi ma clé.
ALBERT , prenant sa résolution.
Ah ! (Il sort.)