SCÈNE PREMIÈRE.

ANNETTE, debout, près de la table à gauche; CAROLINE, assise an milieu, lui tournant le dos.

CAROLINE.

Eh bien, Annette?

ANNETTE.

Quoi, madame?

CAROLINE.

Qu'est-ce que tu me conseilles, toi?

ANNETTE.

Mon Dieu ce qui plaira le mieux à madame.

CAROLINE.

Rien ne me plaît, Annette. Mais si je reste ici, je vais périr d'ennui.

ANNETTE.

Eh bien, allez à ce bal, madame.

CAROLINE.

Mais si j'y vais, cela surprendra beaucoup M. de La Roseraie, à qui j'ai dit positivement que je n'irais pas.

ANNETTE.

Monsieur sera ravi de voir arriver madame.

CAROLINE.

Oh! ravi!... D'ailleurs, il est bien tard et je ne suis pas prête.

ANNETTE.

Madame a sa robe, et il ne lui faut que cinq minutes pour mettre cette coiffure. Voyons, madame, allez-y.

CAROLINE.

Place-la donc, cette coiffure, et dis qu'on attelle.

ANNETTE, entr'ouvrant la porte de gauche.

Attelez. (Elle prend la coiffure sur la cheminée.)

CAROLINE, à part, soupirant.

Ah! je fais là une chose bien grave. Ne va-t-il pas croire que je n'ai pu me tenir à ma bonne résolution... et que je cours après lui? Et aura-t-il tout à fait tort? (Haut, à Annette qui s'est approchée d'elle pour la coiffer.) Non, décidément, ma fille, je reste : donne contre-ordre.

ANNETTE.

Sérieusement, madame?

CAROLINE.

Sans doute.

ANNETTE, entr'ouvrant la porte de gauche.

Dételez. (Revenant et admirant la coiffure plantée sur ses doigts.) C'est dommage! cette coiffure aurait fait honneur au goût de madame.

CAROLINE.

Tu crois?... Tu peux toujours me l'essayer... nous verrons ensuite.

ANNETTE, à la porte de gauche.

Attelez. (Elle va prendre sur la table à gauche un petit miroir de main qu'elle donne à Caroline.)

CAROLINE, après une pause.

Quel temps fait-il donc ce soir, Annette? Je ne sais pas... il me semble qu'il y a dans l'air quelque chose... Tu n'éprouves pas ça, toi?

ANNETTE.

Non, madame, je n'éprouve pas ça.

CAROLINE.

Quand vous avez du pain et un châle, vous autres, vous êtes heureuses, pas vrai.

ANNETTE.

A peu près, madame.

CAROLINE.

Et cependant votre destinée n'est pas gaie. Toi, par exemple, quel est ton avenir? Tu amasseras quelques centaines de francs, après quoi tu épouseras un domestique ; et puis... tu mourras. (Elle lui rend le miroir.)

ANNETTE.

Je vous remercie bien, madame. (se mirant.) J'espère que ce sera le plus tard possible. (Elle reporte le miroir à gauche.)

CAROLINE.

Ah! pour mon compte, si je forme un vœu, ma pauvre Annette... (Elle prête l'oreille.) Une voiture dans la cour? Ce n'est personne pour moi, j'espère... Vois donc.

ANNETTE, à la Fenêtre.

C'est monsieur, madame.

CAROLINE, surprise.

Mon mari!

ANNETTE.

Il est avec quelqu'un... ils montent le perron... Ah! c'est M. Albert de Vitré!

CAROLINE, se levant vivement.

M. de Vitré!... Que signifie?...

ANNETTE.

Ils vont trouver madame sous les armes.

CAROLINE, agitée.

Mais peut-être, Annette, ne viennent-ils pas chez moi

ANNETTE, qui a entrouvert la porte de gauche.

Pardon, madame!... voilà monsieur qui demande à Pierre si vous êtes visible... Ils viennent.

CAROLINE, très-troublée.

Ah!... c'est bien... Va, laisse-nous, ma fille. (Annette sort à droite, laissant la porte de gauche entr'ouverte.)