FAVIÈRES, sombre, MADAME DE VITRÉ, CAROLINE.
MADAME DE VITRÉ.
Ah! c'est vous, Favières?
FAVIÈRES, bourru.
Oui, c'est moi. Et vous, vous voilà ici, bien tranquille? Vous ne savez guère ce que fait votre bon sujet de fils pendant ce temps-là?
MADAME DE VITRÉ, avec angoisse.
Mon fils I... mon fils-I que fait-il? où est-il? De grâce, mon ami ! où est-il?
FAVIÉRES.
A deux pas d'ici, parbleu! à l'opéra, dans les coulisses. (Il va s'asseoir à droite de la cheminée.)
MADAME DE VITRÉ, avec un éclat de joie.
Ah! le ciel en soit loué ! C'est-à-dire, ne mêlons pas le ciel à ces-choses-là... (A part, regardant du coin de l'œil Caroline qui s'est laissée tomber sur un fauteuil au fond à droite où elle travaille.) Elle aimerait mieux qu'il se fût brûlé la cervelle! (Haut.) Je suis bien contente de ce que vous me dites, mon bon Favières, allez !
FAVIÈRES.
Comment ! vous êtes contente que votre fils soit avec les demoiselles de l'Opéra? Eh bien ! vous n'êtes pas difficile à contenter.
MADAME DE VITRÉ, riant.
Voilà comme je suis, moi !
FAVIÈRES.
Eh bien ! c'est gentil... c'est moral !
MADAME DE VITRÉ.
Ah! c'est ça... parlez-nous de morale, vous, je vous en prie ! (Caroline prend son ouvrage d'un air de résolution, et travaille en silence.) Mais à propos, Favières, comment se fait-il que vous ne soyez pas encore couché? Car, Dieu merci ! vous ne m'avez pas dissimulé vos projets intimes, au moment où vous quittiez la chancellerie.
FAVIÈRES.
Sans doute, c'était bien mon intention mais le grand air m'avait réveillé... une fantaisie m'a pris : j'ai traversé la rue et fait un tour dans les coulisses...
MADAME DE VITRÉ.
Ah! ah ! Caton... l'ancien !
FAVIÈRES.
Oh ! mon Dieu! sans aucune prétention. Et cependant... (Son visage s'éclaircit.) Pour rendre hommage à la vérité, je dois dire que je n'ai pas été mal accueilli. Ces dames...
CAROLINE.
Mon oncle!...
FAVIÈRES.
Pourquoi mentir, ma chère enfant! Le fait est que je suis devenu aussitôt le point central du gracieux troupeau... j'étais assailli par les propos les plus vifs... Monsieur le comte par ci... Monsieur le comte par là... que vous êtes rare ! ingrat ! volage! et cætera... (Il se rembrunit.) Quand tout à coup le bel Albert nous arrive comme un papillon déchaîné, et... Il m'agace diablement, votre gamin ! je le trouve partout sur mon chemin; et ma foi, il n'y en a plus que pour lui. Si ce n'était vous, décidément je le prendrais en grippe.
MADAME DE VITRÉ.
Quelle folie ! mais aidez-moi à le faire nommer... mon gamin ; vous en serez débarrassé.
FAVIÈRES.
Mais, Dieu merci ! j'espère bien que c'est chose faite à l'heure qu'il est.
MADAME DE VITRÉ:
Comment?
FAVIÈRES.
Figurez-vous que le jeune homme sortait du cabinet de la direction, tenant à la main une lettre qu'il venait apparemment de rédiger. Or, quand un jeune homme prend la plume à minuit, ce n'est pas généralement pour écrire à sa famille... Pour mon compte du moins... Bref, il traverse le foyer au pas de course... on me quitte pour courir après lui ; mais bah ! aussitôt envolé qu'apparu !... Je sors moi-même presque en même temps... Qu'est-ce que j'aperçois en rentrant ici? Albert en grande conversation avec Annette à qui il remettait sa lettre...
CAROLINE, à part.
Ciel !
MADAME DE VITRÉ, se contenant.
Ah!
FAVIÈRES, se levant.
Parbleu! mon drôle, me suis-je écrié, je t'y prends! quelle affaire as-tu donc avec cette petite? - Aucune, me dit-il... - Et cette lettre?... - Eh bien ! oui, répond-il, elle est pour La Roseraie. - Il m'entraîne alors un peu à l'écart et me conte que décidément il cède à vos instances, et écrit à La Roseraie pour solliciter vivement cette place d'attaché qui comble vos vœux. Après quoi, il me quitte, en saluant Annette d'une tape sur la joue. - Elle est éveillée tout à fait, je vous dirai, votre soubrette... (Il retourne à la cheminée, mouvement de Caroline.)
MADAME DE VITRÉ.
Et... la lettre?
FAVIÈRES.
Eh bien! si je ne m'étais pas trouvé là, Annette allait tout uniment la déposer sur le bureau de mon neveu... et pendant ce temps-là, on allait signer là-bas l'ordonnance relative à l'ambassade.
MADAME DE VITRÉ.
Mais enfin?
FAVIÈRES.
Enfin j'ai tout réparé...
MADAME DE VITRÉ.
Comment?
FAVIÈRES.
J'ai envoyé promptement Felix au ministère dans mon coupé... de sorte qu'à l'heure qu'il est La Roseraie a déjà entre les mains la lettre d'Albert... et, ainsi, vous pouvez être parfaitement tranquille.
CAROLINE.
Ah ! Dieu!
MADAME DE VITRÉ, à part.
Tranquille !
FAVIÈRES.
Eh bien! qu'est-ce que c'est? Pourquoi cet air consterné? Qu'avez-vous?
MADAME DE VITRÉ.
Rien... seulement... je réfléchis...je me demande...
FAVIÈRES.
Est-ce que j'ai fait une école?
MADAME DE VITRÉ.
Non... assurément... je vous suis obligée... mais...
FAVIÈRES.
Mais... je ne comprends pas... quoi? qu'y a-t-il enfin?
MADAME DE VITRÉ.
Quoi ! quoi I qu'y a-t-il?... Il y a que ce billet... seul... ne suffit pas... ne signifie rien... qu'il eût fallu que Caroline y ajoutât un mot... que j'aurais voulu le porter moi-même... le recommander... l'appuyer... le... Il y a que vous êtes insupportable ! allez vous coucher I
FAVIÈRES.
Madame, le mot est vif.
MADAME DE VITRÉ.
Eh-bien ! je le retire... Mais allez vous coucher tout de même... mon ami, je vous en prie.
FAVIÉRES.
Madame, je vous obéis... jamais je n'ai su rester aux ordres d'une femme, bien que j'en aie reçu souvent de plus agréables. J'obéis ! (Il les salue, en les observant d'un œil curieux, et sort.)