SCÈNE IX

ACHILLE, GONTRAN

GONTRAN, revenant à Achille, dont l'impatience est marquée.

Eh bien ! qu'est-ce qu'il y a, mon ami ? Quelle est cette chose sérieuse et délicate dont tu veux m'entretenir ?

ACHILLE.

Mais si tu es en l'air comme cela, j'aime mieux ajourner.

GONTRAN, s'asseyant de travers sur une chaise et battant ses bottes de son fouet.

Me voilà posé, parle !

ACHILLE, s'asseyant.

Mais d'abord es-tu assez profondément convaincu de mon amitié, du vif intérêt que je te porte, pour me permettre d'aborder avec toi les questions les plus particulières, les plus intimes ?

GONTRAN.

Oui, mon ami, très sincèrement oui. (Il lui serre la main.) Un cœur d'or comme toi a le droit d'avoir une bouche d'or. Parle donc hardiment.

ACHILLE.

Mon ami, tu sais que je n'oublie pas le respect que me commandent ton âge, et ton expérience supérieure ?

GONTRAN.

Je sais que tu ne l'oublies pas et que tu ne me le laisses pas oublier. - Ensuite ?

ACHILLE.

Mais malgré toute la déférence que je te dois, j'oserai te demander si tu nourris toujours le projet insensé d'abandonner Paris l'an prochain et de te retirer ici, à la campagne ?

GONTRAN.

Toujours, mon ami, et de plus en plus.

ACHILLE.

Et pour quelle raison ?

GONTRAN.

Mon cher Achille, il y a six mois, en faisant ma barbe, j'ai vu tout à coup briller sur ma tempe gauche une mèche argentée... on ne la voit pas (Achille regarde), mais elle y est. Cette découverte a été pour moi un signe, un avertissement. Je me suis dit qu'après avoir joué pendant vingt ans sur la scène parisienne un rôle... qu'il ne m'appartient pas de qualifier, je me devais à moi-même de me retirer à temps. Je me suis dit qu'un astre qui entend sa dignité ne décline pas... il disparaît ! C'est ce que je veux faire.

ACHILLE.

Mais tu périras d'ennui ici.

GONTRAN.

Pas du tout. J'ai de grandes idées, mon ami. Je me transformerai ; j'aurai une ferme modèle ! j'élèverai des animaux splendides ; je les ferai primer dans les concours. Je rendrai la justice à mes vassaux sous un chêne ; je couronnerai des rosières. Bref, j'aurai ma seconde manière, comme tous les grands artistes !

ACHILLE.

Mais, ta femme !

GONTRAN.

Quoi ! ma femme !

ACHILLE.

Comment penses-tu qu'elle s'accommode de ces grandes idées-là ?

GONTRAN.

Mais, fort bien, je présume. En femme soumise et dévouée comme elle est, et de plus en bonne mère de famille... n'a-t-elle pas sa fille, dont elle pourrait, par parenthèse, s'occuper un peu plus qu'elle ne fait ?

ACHILLE.

Ah ! tu penses ? Et sais-tu pourquoi elle s'occupe si peu de sa fille ? Ceci m'amène justement...

Entre Ravelet par la droite, premier plan.