SCÈNE XVII

CAMILLE, sur le banc, GONTRAN.

GONTRAN.

Eh bien, chère amie, vous ne chassez pas avec nous, décidément ?

CAMILLE.

Le cheval me fatigue.

GONTRAN.

Mais pourquoi ne pas suivre dans la calèche avec votre mère et la mienne ?

CAMILLE.

Non.

GONTRAN.

Vous préférez rêver seule dans les bocages ?

CAMILLE.

Je préfère rêver seule dans les bocages.

GONTRAN, prenant une chaise et s'asseyant.

Ah çà ! quand vous rêvez... qu'est-ce que vous rêvez ? car enfin, je serais bien aise de le savoir, moi, une bonne fois !

CAMILLE, avec une affectation ironique.

Que voulez-vous que je rêve, mon ami, sinon que le mariage est une ivresse perpétuelle, ce qu'il y a de plus doux sous le ciel, la passion dans le devoir, la tendresse dans l'amitié, le dévouement égal et continu de deux âmes l'une à l'autre... enfin, que vous êtes le modèle des maris, et que je suis la plus heureuse des femmes !

GONTRAN.

Ma foi ! si vous ne l'êtes pas, ma chère amie, je le regrette infiniment... Mais ce n'est pas ma faute à moi, si je ne puis m'élever jusqu'à vos sommets, si j'ai été pétri d'une argile inférieure, d'une fange subalterne... si je suis un être matériel, inculte et déplorable ! Quant à mes torts envers vous, je ne puis absolument n'en reconnaître qu'un seul : celui de ne point passer ma vie à vos pieds avec une guitare ! Celui-là... je l'avoue... j'avoue qu'après plus de quinze ans de mariage, j'ai cru pouvoir, par intervalles, déposer la guitare.

Il se lève.

CAMILLE, sèchement.

Vous n'avez pas eu cette peine, mon ami.

GONTRAN.

Allons, voyons, ma chère amie, est-ce une scène ?

CAMILLE, passant à gauche.

Ah ! grand Dieu ! on rit et vous vous fâchez !

GONTRAN.

Non. C'est que vraiment vous êtes injuste... je vous aime, moi, parfaitement.

CAMILLE:

Mais j'en suis persuadée ! mon ami !Si un jour en revenant de la chasse ou de votre cercle vous ne me retrouviez pas à ma place, je suis sûr que vous seriez extrêmement contrarié.

GONTRAN.

Bon ! contrarié, maintenant !

LA COMTESSE, dans la coulisse.

Mon fils, madame...

MADAME DE SAULIEU.

Votre fils, madame... donnera raison à ma fille, j'espère !

GONTRAN, prenant la main de Camille.

Ah çà ! voyons, Camille, c'est fini, n'est-ce pas ?

CAMILLE, froidement.

Oh ! bien fini, mon ami !