CAMILLE, seule, puis MADAME DE SAULIEU, UNE FEMME DE CHAMBRE.
CAMILLE, seule, assise sur un canapé, à droite.
C'est pourtant une chose bien extraordinaire, que je n'aie jamais pu découvrir...
La porte du fond s'ouvre, madame de Saulieu parait en toilette de bal.
MADAME DE SAULIEU, à une femme de chambre.
Mademoiselle Hélène est-elle prête ?
CAMILLE, se levant.
Ah ! c'est ma mère.
LA FEMME DE CHAMBRE.
On achève de coiffer mademoiselle.
MADAME DE SAULIEU.
Eh bien ! justement... Portez-lui ce carton de ma part, et dites-lui qu'elle se dépêche... que je l'attends.
LA FEMME DE CHAMBRE.
Bien, madame.
Elle sort par une porte latérale de gauche.
CAMILLE, remontant.
Ma bonne mère.
MADAME DE SAULIEU.
Bonjour, ma fille.
CAMILLE.
Vous avez encore fait une folie pour Hélène...
MADAME DE SAULIEU.
Oh ! rien... une petite coiffure... une misère... Ah çà ! il faut que je te remercie d'avoir bien voulu me confier ta fille pour ce soir... Madame d'Hermilly m'avait tant suppliée de l'amener...
CAMILLE.
C'est moi qui vous remercie, ma mère... La pauvre enfant mourait d'envie d'aller à ce bal ; et comme je ne pouvais me décider à l'accompagner, j'ai été trop heureuse... (Elle offre un siège à sa mère, et se rassoit.) Asseyez-vous.
MADAME DE SAULIEU, debout, s'arrangeant devant la glace qui est au-dessus de la cheminée à gauche, au premier plan.
Et ta précieuse belle-mère, qu'est-ce qu'elle dit ?
CAMILLE, sur le canapé à droite.
Elle murmure !
MADAME DE SAULIEU.
Une fée ! - Et ton superbe mari ?
CAMILLE.
Oh ! lui... toujours enchanté de toutes choses et de lui-même.
MADAME DE SAULIEU.
Et où est-il, ce monsieur ?
CAMILLE.
A son cercle, naturellement.
MADAME DE SAULIEU, toujours devant la glace.
Jolie institution que leur cercle ! A la campagne, c'est la chasse ; à la ville, c'est le cercle... Qu'est-ce qu'ils veulent que nous fassions, nous autres, pendant ce temps-là ?... Un soir, ma fille, pendant que ton père était à son cercle, car ça date de loin, cette invention-là... je me rappelle avoir reçu quatre déclarations consécutives au coin de mon feu... quatre amis de ton père, bien entendu... C'était le 20 décembre 1829... (Allant vers Camille.) j'ai retenu la date... parce qu'enfin, quatre déclarations le même soir, c'est un fait... Mais tu ne m'écoutes pas... à quoi penses-tu ?... Montre-moi tes yeux... tu as encore pleuré !
CAMILLE, riant.
Mais, non, ma mère, je vous assure...
MADAME DE SAULIEU.
Ah ! ma pauvre fille, tu n'es pas heureuse, je le sais bien !
CAMILLE.
Mais je vous jure, ma mère, que vous vous trompez !
MADAME DE SAULIEU.
Une mère ne se trompe pas, ma fille... enfin !... tu n'oublies pas, j'espère, que je suis là... que si jamais on te poussait à bout, tu as chez moi un refuge assuré.
CAMILLE.
Ma mère, ne me dites pas tout cela... je vous en supplie... Tenez ! vous me faites du mal !
MADAME DE SAULIEU.
Bien ! c'est moi qui te fais du mal, maintenant ! Au reste, tu n'es pas raisonnable, non plus... tu t'absorbes là dans tes pensées sombres... au lieu de te distraire bravement ! Eh ! mon Dieu, il n'y a pas de femme qui n'ait besoin de s'étourdir en ce monde !... Voilà trente-cinq ans que je m'étourdis, moi !
CAMILLE.
Vous savez que j'ai essayé... mais on se lasse...
UN LAQUAIS, annonçant.
Monsieur Achille de Kérouare.