SCÈNE VII

CAMILLE seule, puis SEILLANES.

CAMILLE, seule.

Pourquoi m'a-t-elle donné son bouquet ? (Elle descend lentement vers la cheminée, regarde le bouquet avec curiosité.) Ah ! bah ! quelle rêverie !

UN LAQUAIS, annonçant.

Monsieur le marquis de Seillanes !

CAMILLE, s'assied â gauche.

Ah ! quel ennui ! (Entre Seillanes.)Ah ! que vous êtes aimable, monsieur, de ne pas oublier une solitaire !

SEILLANES, jouant avec son éventail.

Madame ! (Elle lui montre un siège. - A part.) Elle est seule ! Ma foi ! je vais attaquer.

Il va prendra un siège et s'assied près de Camille.

CAMILLE.

Savez-vous que vous devenez très aimable ?... Vous qui faites peu de visites... en voilà... combien ? Une... deux... trois... en quinze jours... C'est un miracle... Allez-vous à ce bal, ce soir ?

SEILLANES, d'un air triste et penché.

Non, madame.

CAMILLE.

Au cercle, alors ?

SEILLANES.

Non, madame. Je reste beaucoup chez moi maintenant ; j'y passe presque toutes mes soirées.

CAMILLE.

AM... Et qu'est-ce que vous y faites ?

SEILLANES.

Mais, madame, je lis... Je me suis remis à la lecture.

CAMILLE.

Ah ! vraiment ?... Qu'est-ce qui vous est donc arrivé ?

SEILLANES.

Mon Dieu, madame... mes goûts ont changé depuis quelque temps... J'ai perdu ma gaieté, ma folle insouciance de la vingtième année... Je n'aime plus que la solitude, ou la société des personnes avec lesquelles on petit échanger quelques idées sérieuses, quelques sentiments vrais... Mon Dieu ! mais c'est toute une révolution, me direz-vous. Vous êtes comme Hippolyte... de Racine... Votre arc, vos javelots, votre char, tout vous abandonne !... Eh bien ! oui, madame, c'est une métamorphose totale... moi qui n'avais jamais connu la mélancolie...

CAMILLE, souriant.

Mais vous avez encore un cheval, cependant ! Il est même très joli... je l'ai remarqué tantôt en passant... Comment l'appelez-vous ?

SEILLANES, du même ton sentimental.

Justaucorps, madame... C'est un fils de Nuncio et de miss Waggs... Au surplus, je monte encore par routine... comme cela... car au fond...

CAMILLE.

Quoi ?

SEILLANES.

Ah ! croyez-le, madame, ce n'est pas un caprice passager, ce n'est pas un sentiment vulgaire qui a pu transformer si complètement mes goûts, mes habitudes... Maintenant... pour emprunter encore le langage d'un poète... Corneille... je vois, je sais, je crois. Je suis entièrement désabusé... Je ne m'égare plus à la poursuite de vains plaisirs... Je sais où est le vrai bien, le seul bonheur désirable... Mais, me sera-t-il jamais donné de l'atteindre, madame ?

CAMILLE, froidement.

Mais que voulez-vous que j'en sache ?

SEILLANES.

Ah ! vous seule, madame, vous le savez !... Vous seule pouvez me le dire... et c'est à genoux que je veux attendre...

Il se met à genoux. Camille se lève. La porte de droite s'ouvre, et la vieille comtesse parait. Seillanes se relève vivement.