CAMILLE, puisTRÉVÉLYAN.
CAMILLE, seule ; avec amertume.
Vraiment... il y a des moments où il semble que tout conspire à vous tenter, à vous précipiter !... Enfin, je ne m'abandonne pas, moi, Dieu merci.
Elle s'assoit sur le canapé à droite. - Entre Trévélyan.
TRÉVÉLYAN.
Madame, veuillez me pardonner man indiscrétion. Je n'ai pas l'honneur d'être assez de vos amis pour me présenter chez vous aussi familièrement... Mais madame votre mère, que j'ai rencontrée tout à l'heure chez madame d'Hermilly, a daigné autoriser ma hardiesse en termes si bienveillants...
CAMILLE.
Mais j'ai beaucoup d'obligation à ma mère, monsieur... Si vous voulez vous asseoir ?... (Trévélyan va prendre une chaise.) Il y a véritablement, monsieur, des hasards singuliers... Aujourd'hui même, une personne qui croit vous bien connaître et qui vous porte beaucoup d'intérêt, supposant entre vous et moi une intimité... que le degré de notre connaissance ne justifie guère...
TRÉVÉLYAN, souriant.
Permettez-moi de dire malheureusement.
CAMILLE.
Enfin, cette personne m'honorait d'une confidence délicate... qu'il ne tient qu'à moi de considérer comme un message... dont je vous demande la permission de m'acquitter.
TRÉVÉLYAN.
J'écoute, madame.
II s'assied.
CAMILLE.
Eh bien ! on prétend que vous pensez un peu... beaucoup...
TRÉVÉLYAN.
A quoi, madame ?
CAMILLE.
A vous marier.
TRÉVÉLYAN.
A me marier, moi ?
CAMILLE, sans le regarder.
Voilà !... Qu'est-ce que vous répondez à cela ?
TRÉVÉLYAN.
A me marier ! Mon Dieu ! Madame, y tenez-vous extrêmement ?
CAMILLE.
Oh ! moi, pour mon compte personnel...
TRÉVÉLYAN.
C'est que, moi, je n'y tiens pas du tout.
CAMILLE.
Ah !... Eh bien ! ma commission est faite... N'en parlons plus... Est-ce brillant, ce bal ?
TRÉVÉLYAN.
Très brillant, madame.
CAMILLE.
Comptez-vous y retourner ?
TRÉVÉLYAN, se levant doucement et souriant.
Mais, si vous me renvoyez ?
CAMILLE.
Non, vraiment... je vous assure... restez donc.
TRÉVÉLYAN.
Décidément, vous m'en voulez donc beaucoup, madame... Ma réponse vous a paru légère... Une femme comme vous doit penser que le mariage est une chose grave, et qu'il y a, chez un homme de mon âge, une sorte de mauvaise grâce vulgaire à ne pas vouloir s'en préoccuper.
CAMILLE, froidement.
Mon Dieu ! il est certain qu'à moins de raisons sérieuses...
TRÉVÉLYAN.
Mais c'est que j'en ai une...
CAMILLE.
Si elle est bonne, c'est assez.
TRÉVÉLYAN, hésitant.
J'ai presque envie de vous en faire juge !...
CAMILLE, après une courte pause et d'un ton souriant.
Voyez !
TRÉVÉLYAN, souriant d'abord, puis, avec une émotion grave et contenue.
Eh bien ! madame, s'il y avait quelque part, dans le monde, peut-être en France, peut-être au Mexique ou aux Indes... j'ai tant voyagé !... s'il y avait une femme que, par un hasard étrange, j'eusse aimée avant de la connaître, que j'eusse adorée dès que je l'ai seulement aperçue, une femme dont la pensée se fût si bien emparée de ma vie et de mon âme, qu'elle semble née avec moi, comme elle ne mourra qu'avec moi, - une femme de qui je n'espère rien, à qui je ne demande rien, - car sa vertu, sa vertu souriante et vaillante est peut-être le premier de ses charmes à mes yeux ; - une femme que j'aie fait serment d'aimer toujours, mais de fuir demain, sacrifiant tout, avenir et patrie, pour aller vivre au bout du monde avec ce pur souvenir... eh bien ! si cette femme existait, si une passion si complète, si absolue avait pris possession d'un cœur qui ne change pas... qui n'a jamais trompé... j'ose vous le demander, madame, offrir ma main à une autre, serait-ce une action d'honnête homme ?
CAMILLE, qui l'a écouté dans une attitude immobile et digne.
Non.
TRÉVÉLYAN, se levant.
C'est donc vous qui avez prononcé, madame, et il ne me reste qu'un mot à vous dire : adieu !
CAMILLE, se levant.
Monsieur ! (Trévélyan s'arrête.) Monsieur... il y avait là... il y a peu d'instants... à genoux sur ce tapis... un jeune homme qui me disait, à peu de chose près, ce que vous venez de me dire. Je n'ai pas daigné le comprendre, encore moins lui répondre ; à vous, monsieur... Vous allez peut-être me juger bien naïve... je vous répondrai. On assure que vous êtes un homme de beaucoup d'honneur... que vous dites ce que vous pensez, que vous faites ce que vous dites... Eh bien ! vous me parliez d'un serment, d'une résolution bien inconsidérés... Vous avez dans le monde, monsieur, de sérieux devoirs à remplir, une noble carrière à poursuivre... Ne négligez pas, ne trahissez pas tout cela pour un rêve, pour une chimère, pour rien... Que je n'aie pas à me reprocher d'avoir eu, même involontairement, sur votre destinée, une influence fatale... Oubliez votre serment.
TRÉVÉLYAN.
Madame, j'y tiens !
CAMILLE.
Oubliez-le, et j'oublierai moi-même tout ce qui, dans votre langage, dépassait la mesure des sentiments qu'une honnête femme peut accepter... Vous y penserez... J'ai assez d'estime pour vous et de confiance en moi pour vous recevoir en ami, si vous vous présentez en ami...
TRÉVÉLYAN.
Madame !...
CAMILLE.
Adieu... ou au revoir, comme il vous plaira.
Trévélyan salue, et, près de sortir, se trouve en face d'Achille qui entre.