ACHILLE, SEILLANES, bottes et culotte de chasse.
SEILLANES *, avec un entrain démonstratif.
Ah ! cher monsieur !
* Seillanes entre par le premier plan à droite. - Achille, Seillanes.
ACHILLE.
Monsieur de Seillanes !
SEILLANES.
Eh bien relier monsieur, voilà un petit temps assez gentil pour notre chasse ? Eh ! ça va être un plaisir d'être comme ça aujourd'hui ! Hope là ! (Il indique du geste un cavalier galopant.)Hope ! Mais vous n'aimez pas le cheval vous, je crois, eh !
ACHILLE.
Je vous demande pardon, mais sans frénésie.
SEILLANES.
Et à quelle heure cette chasse ? Après déjeuner, eh ?
ACHILLE.
Mais vraisemblablement.
SEILLANES.
Et en attendant, vous étiez là, vous, faisant le guet dans le buisson, hein ?
ACHILLE.
Quel guet ?
SEILLANES, lui frappant sur l'épaule en riant.
Oui, oui, oui... Eh bien ! ça va-t-il ?
ACHILLE.
Je n'ai pas l'avantage de vous comprendre.
SEILLANES.
Je ne vous crois pas, vous savez ! Ah çà ! voyons, cher monsieur Achille, entre hommes, que diable ! on s'entend, on ne risque pas de se contrecarrer l'un l'autre... Eh bien ! voyons, entre nous, là, quelle est au juste votre situation dans le château ?
ACHILLE.
Mais, ma situation dans le château est la vôtre. J'ai été comme vous invité à passer quelques jours chez notre ami le comte de Vardes, de qui j'ai l'honneur d'être le parent.
SEILLANES.
Ce n'est pas ça que je vous demande, mais puisque vous en parlez, est-ce que c'est sérieux, cette parenté ?
ACHILLE.
Oh ! mon Dieu, non... un cousinage qui se perd dans la nuit des temps, mais que d'étroites relations entre nos deux familles ont rafraîchi.
SEILLANES.
Ah !
ACHILLE.
Oui... Vous savez que le père de Gontran était militaire ? le mien aussi. Quand je perdis mon père, le général de Vardes voulut bien me servir de tuteur ; j'étais au collège dans ce temps-là, et chose qui ne laissera pas de vous surprendre, c'était Gontran qui me faisait sortir tous les quinze jours.
SEILLANES.
Ah ! tiens, tiens, tiens, vraiment !
ACHILLE.
Il parait presque aussi jeune que moi Gontran, n'est-ce pas ?
SEILLANES.
Ah ! c'est qu'il a encore toutes ses dents, le gaillard, toutes ses dents et pas une tare !
ACHILLE.
Eh bien ! il n'y en a pas moins entre nous une bonne douzaine d'années de distance ; et tenez ! la preuve, c'est qu'à cette époque-là, il était amoureux d'une actrice de je ne sais quel théâtre, à qui il avait coutume de porter un bouquet de violettes tous les matins.., et les jours de sortie il m'emmenait, moi, jusqu'à la porte, bien entendu ; je l'attendais fièrement sur le trottoir en fumant un cigare qui me faisait mal, et quand j'étais rentré au collège, je contais ça pendant quinze jours à mes camarades... qui me trouvaient superbe !
SEILLANES.
Ah ! ah ! ah ! de sorte que dès ce temps-là de Vardes menait la vie assez chaude, eh ?
ACHILLE.
Oh ! il n'était pas marié.
SEILLANES.
Oh ! le mariage n'a jamais été pour lui une martingale bien sévère ! Eh ! eh ! dites-moi !
ACHILLE, froidement, allant s'asseoir à gauche près de la table.
Bref, depuis ce temps nous sommes restés fort liés, de Vardes et moi.
SEILLANES, le suivant.
Ce qui est d'autant plus flatteur pour vous que sa femme est ravissante.
ACHILLE, avec gravité.
Vous pouvez ajouter, monsieur de Seillanes, qu'elle est parfaitement honnête.
SEILLANES.
Vous avez raison, elle est parfaitement honnête, toutes les femmes sont parfaitement honnêtes, ça, c'est certain. (Il s'assied à droite de la table.) Eh bien ! tenez, vous êtes heureux... j'ai toujours rêvé, moi, d'avoir pour maîtresse une femme honnête !
ACHILLE.
Monsieur le marquis de Seillanes, je vous atteste encore une fois formellement...
SEILLANES.
Très bien ! c'est convenu, je me trompe... vous avez raison ! Oui, j'aurais aimé ça, mais je n'ai pas le temps. Une femme honnête, c'est toute une affaire ; il faut parler littérature d'ailleurs, et mes moyens ne me permettent pas... (Il rit.) Et ma foi ! pourtant j'avoue que pour madame de Vardes j'aurais fait des folies... j'aurais relu mes auteurs ! Mais j'avais et j'ai même encore des raisons pour observer vis-à-vis d'elle une extrême réserve.
ACHILLE.
Vous avez réfléchi apparemment qu'étant l'ami du mari...
SEILLANES.
Ah dame ! ma foi, non ! Ce n'est pas ça... Si on s'arrêtait devant ces choses-là,... il faudrait renoncer à tout... vous comprenez ! D'ailleurs, de Vardes ne se gêne guère pour son compte... Ah ! 'à propos, vous savez que nous allons avoir une jolie chasseresse aujourd'hui, outre mademoiselle Hélène ?
ACHILLE.
Qui donc ?
SEILLANES.
Mais la petite madame Dumesnil, miss Cowperson, la fille de Father * Cowperson, cette blonde qui rougit toujours.
* Prononcez : fézeur.
ACHILLE.
Ah ! je sais, oui...
SEILLANES.
Et vous savez que c'est de Vardes qui a fait le mariage ?
II rit.
ACHILLE.
Comment cela ?
SEILLANES.
Ça s'est effectué à La Marche... à la dernière course du printemps... pendant le handicap ; tenez ! vous connaissez le petit Dumesnil... de Vardes est un dieu pour lui !... Le tailleur de de Vardes, le sellier de de Vardes, les chevaux de de Vardes, il n'y a que ça au monde ! Tenez, Dumesnil, lui dit de Vardes pendant le handicap, à votre place j'épouserais miss Cowperson, et il a épousé miss Cowperson. (Il rit.) Voilà Dumesnil !
Il se lève.
ACHILLE, se levant.
Est-ce qu'il est riche, ce monsieur Dumesnil ?
SEILLANES.
Bah ! Comme le père Cowperson... ils se sont trompés... gentiment... tous deux.
ACHILLE.
Mais cette petite femme mène cependant un assez grand train.
SEILLANES.
Il y a des mystères, vous savez... Eh ! eh !
Il rit.
ACHILLE.
Vraiment, mon cher marquis, vous êtes heureux, vous ! Vous riez de tout. Vous avez une gaieté charmante que j'admire et que j'envie.
SEILLANES.
Eh ! mon cher bon, si je n'étais pas gai, moi, qui diable est-ce qui le serait, je vous le demande ? Je n'ai pas un souci ! Je suis né sous une étoile incroyable ! Mon seul malheur au monde c'est de ne pouvoir rien désirer. Car je ne sais pas, ma parole d'honneur, ce qui me manque... D'abord, vous savez, je n'ai pas de parents...
ACHILLE.
Eh bien ! mais il vous manque des parents !
SEILLANES.
Ah ! oui, mais je veux dire enfin que je n'ai personne autour de moi qui me gêne, qui m'entrave ; - joignez à cela vingt-cinq ans, soixante mille francs de rente, un nom assez propre... eh bien ! ma foi, avec tout ça, si j'engendrais la mélancolie, vous m'avouerez...
LA COMTESSE, au dehors.
C'est assez, vous dis-je !
SEILLANES, courant vers le fond.
Ouf ! c'est la douairière de Vardes ! - je me sauve ! Les femmes, quand elles ont passé trente ans, moi, - abernuncio ! je n'en suis plus ! Je vais voir mes chevaux. (Revenant.) Vous savez que je ne vous crois pas !
Il rit et sort par la droite.
ACHILLE.
Il me plaît bien, ce petit jeune homme-là !