SCÈNE XI

CAMILLE, TRÉVÉLYAN.

TRÉVÉLYAN, seul.

Enfin !... elle veut me parler ! Que va-t-elle me dire ? Ah ! j'ai peur ! J'ai pressenti, à son regard, quelque résolution funeste !... Hélas ! cette passion souveraine, terrible... que j'ai tant souhaitée... la voilà ! Elle est venue, rapide, puissante comme la foudre... et elle va m'enlever à jamais, je le crains... non pas le bonheur... je ne l'avais pas !... mais la paix de ma vie ! (Camille entre rapidement par le fond à gauche.) Ah !

CAMILLE.

Monsieur Trévélyan !

TRÉVÉLYAN.

Madame !

CAMILLE.

Ai-je eu tort, dites-moi, de vous accorder dès le premier jour où je vous ai connu une estime dont je ne suis pas prodigue ?... Ai-je eu tort de croire sérieuses, sacrées dans votre bouche ces paroles si souvent banales de désintéressement, d'abnégation, de sacrifice ?...

TRÉVÉLYAN.

Ah ! madame... de grâce, cet arrêt que je lis dans vos yeux, qui est suspendu à vos lèvres, ne le laissez pas tomber encore ! Comment l'ai-je mérité ? Que s'est-il donc passé ? Quel trouble ai-je mis dans votre vie ? Quel remords dans votre cœur ? - Aucun ! - Dieu le sait. - Que vous ai-je jamais demandé, que vous n'accordiez à chacun sans y songer, votre présence, quelques rares instants arrachés à vos loisirs, quelques-unes de vos soirées perdues... Enfin, cette amitié respectueuse que vous-même m'aviez permise !

CAMILLE.

J'ai eu tort... Ces amitiés qu'une femme rêve à côté de son devoir dans une heure de défaillance sont un vain mot qui peut tromper le monde, mais qui ne trompe pas la conscience. - Enfin, monsieur, je vous en prie, je vous en supplie, rendez-moi ce calme, cette paix, ce bonheur, que j'ai trop méconnus autrefois... mais dont je sens tout le prix depuis qu'ils m'échappent !

TRÉVÉLYAN.

Eh bien ! que faut-il faire ? Parlez !

CAMILLE.

Quitter cette maison à l'instant, Paris demain.

TRÉVÉLYAN.

J'obéis... Mais quoi ? Rien, rien de plus ?

CAMILLE, lui tendant la main.

Merci. (Trévélyan baise la main que Camille lui abandonne, et elle ajoute vivement :) Adieu !

TRÉVÉLYAN.

Adieu ! (Il s'éloigne ; près de sortir, il se retourne, regarde encore Camille, et dit à part :) Je n'aurai jamais cette force !

Puis il sort lentement par la galerie à droite.