SCÈNE XIX

CAMILLE seule, puis TRÉVÉLYAN.

CAMILLE, elle tombe sur un siège près de la table, couvre son visage de ses deux mains et éclate en sanglots.

Mon Dieu ! mon Dieu ! (Moment de silence. - La musique joue au dehors.- Trévélyan parait an fond à droite, et descend lentement la scène.)

TRÉVÉLYAN, s'arrêtant devant elle.

Camille !

CAMILLE.

Vous ! c'est vous !... (Elle se lève brusquement, puis l'éloignant du geste.) Ah ! tenez, allez-vous-en !... Je suis folle ! Allez-vous-en ! (Elle retombe assise.) Allez ! vous aussi d'ailleurs vous me manquez de foi ! Votre présence ici en ce moment est un parjure !

TRÉVÉLYAN.

J'obéissais... Je partais... En passant devant la porte de ce jardin, j'ai songé que je pouvais vous apercevoir encore une dernière fois... Si je vous avais vue heureuse, souriante, je serais déjà loin de vous pour jamais... Je vous ai vue pleurer... me voici !

CAMILLE.

Laissez-moi !

TRÉVÉLYAN.

Camille... Où est ce bonheur, où est ce calme, cette paix de l'âme que vous vouliez garder, que je devais respecter ?... Vous ne les avez pas ! Hélas ! ce n'est pas moi qui puis vous les donner, je le sais ! mais je sais que je vous offre du moins des souffrances partagées, un malheur adouci par une tendresse infinie ; je sais qu'il y a là sous vos pieds un cœur tout prêt à vivre ou à mourir pour vous avec ravissement !... Camille, ne le repoussez pas !

CAMILLE, l'éloignant doucement du geste.

Mais enfin quand je vous aimerais ? Pouvez-vous croire que je souffre, que je partage les effusions d'un amour coupable... ici... dans cette maison... (Elle se lève et passe à gauche.) près de ce foyer sacré où j'ai juré de vivre en honnête femme... où j'avais tenu mon serment sans y manquer jamais un seul instant... avant ce fatal instant !... Non ! vous ne le croyez pas ! vous ne pouvez l'espérer !... (Gontran parait au fond.) Eh bien ! que me demandez-vous donc ?...  Ah ! tenez, allez-vous-en ! Je vous en supplie encore ! Vous ne savez pas... je ne sais pas moi-même à quel abîme je puis vous entraîner... dans ce vertige qui m'égare !...

TRÉVÉLYAN.

Quoi ! c'est pour moi... pour moi que vous craignez... Camille !

GONTRAN, saisissant Camille par le bras et la rejetant violemment sur le devant de la scène.

Rentrez dans le bal ! (A Trévélyan.) Je suis à vous, monsieur !