SCÈNE XX

LES MÊMES, GONTRAN.

CAMILLE, avec égarement.

Quoi ! que me dites-vous ?... que faut-il faire ?... Je ne comprends pas...

GONTRAN.

Rentrez dans le bal... Entrez là, vous dis-je ! vous reviendrez tout à l'heure, si vous voulez !... (Il la pousse dans la porte, rejette la portière sur elle, et revenant violemment vers Trévélyan.) Vous, monsieur, si vous ne voulez pas avoir mon gant sur le visage !...

Il arrache un de ses gants, et marque le geste de le lui jeter.

TRÉVÉLYAN, avec force, l'arrêtant.

N'achevez pas !... En voilà assez !... soyez tranquille !

GONTRAN.

C'est bien... et maintenant, monsieur, si vous avez deux grains d'honneur, vous allez me chercher là publiquement une querelle dont le monde puisse être dupe !

TRÉVÉLYAN.

Tout ce qu'il vous plaira... Mais le prétexte ?...

GONTRAN.

Je me charge du prétexte... Comprenez-moi seulement. (Il remonte un peu la scène comme pour reprendre son calme et refaire son visage, puis apercevant Seillanes et Dumesnil qui se promènent dans la galerie du fond, il les appelle en riant.) Ah ! Seillanes ! Dumesnil, venez donc... venez à mon aide ! On attaque le sport... ici, les gens de cheval !

SEILLANES, gaiement.

Bah ! qui donc ça ?

GONTRAN, avec un enjouement fiévreux.

Mais, M. Trévélyan... qui me dit là en riant des choses terribles.

TRÉVÉLYAN, souriant.

Oh !... terribles.

Il est debout à droite prés de la table*.
* Dumesnil, Gontran, Seillanes, Trévélyan.

GONTRAN.

Mais, sans doute... J'engageais M. Trévélyan à nous accompagner après-demain à la Marche... de cherchais à l'entraîner dans nos goûts, dans nos plaisirs qu'un homme comme lui honorerait en les partageant... Mais il ne veut pas... Il a pour les courses, pour le cheval, pour le sport enfin, une répugnance invincible... A travers sa courtoisie, j'entrevois que ces occupations qui nous passionnent lui paraissent un peu... puériles.

TRÉVÉLYAN.

Olt ! je n'ai pas dit cela !... Seulement, lorsqu'on fait de ces exercices la principale affaire de la vie, il me semble qu'on en exagère un peu le mérite et le sérieux... Pour moi, quand je vois au pied des tribunes ces petits messieurs qui s'agitent, une carte au chapeau, importants, affairés, ridicules...

SEILLANES.

Ah ! diable, mais...

DUMESNIL.

Dites-moi donc...

GONTRAN, les retenant.

Permettez ! - Monsieur Trévélyan, vous oubliez que parmi ces petits messieurs il y en a de grands !

TRÉVÉLYAN.

Il me semble, monsieur, que c'est relever bien sérieusement une plaisanterie !...

Quelques invités, attirés par le bruit de la querelle, se groupent dans la porte, et dans le fond.

GONTRAN.

Mon Dieu ! monsieur, c'est que cette plaisanterie n'est pas neuve à mes oreilles... Je sais qu'on nous accuse de n'être bons à rien hors d'un champ de course ou d'une écurie... Cela est pénible à la longue ! On devrait se rappeler que plus d'un parmi nous a su passer sans trop de désavantage de l'hippodrome dans les salons, dans le conseil, et sur le champ de bataille !... qu'il n'est pas absolument nécessaire, pour avoir droit au titre d'homme sérieux et distingué, de marcher toujours dans le monde avec un portefeuille idéal sous le bras, de porter le masque solennel d'un diplomate...

TRÉVÉLYAN, l'interrompant avec violence.

Le masque !... Après tout, monsieur, le masque d'un diplomate sied mieux à un homme... que la casaque d'un jockey !

GONTRAN, marchant sur lui.

Monsieur !

SEILLANES.

Messieurs !... Voyons... vous avez tort tous deux !

DUMESNIL.

Vous le premier, Gontran, je vous assure !

GONTRAN.

Soit ! monsieur... je suis chez moi... je l'ai peut-être trop oublié... Veuillez recevoir mes excuses... mais j'attends aussi les vôtres...

TRÉVÉLYAN.

Monsieur... quoique diplomate... quand je suis outragé, je ne reçois pas d'excuses... et surtout, je n'en fais pas !... (Il salue) Monsieur ! à bientôt ! j'espère !

Il sort par le fond.

GONTRAN.

Vous y pouvez compter, monsieur...

CAMILLE, éperdue, entre à gauche, entrainant Achille, et paraissant le supplier d'intervenir ; elle crie :

Gontran !

Puis tombe évanouie. Les femmes forment un groupe autour d'elle.

GONTRAN.

Ah ! pauvre femme !... Appelez sa fille... appelez...

HÉLÈNE, accourant à sa mère.

Ah ! ma mère !

GONTRAN.

Messieurs, je vous en supplie tous, pas un mot devant cette enfant !