SCÈNE V

ACHILLE, LA COMTESSE, MADAME DE SAULIEU.

MADAME DE SAULIEU.

Bonjour, mon cher Achille !

ACHILLE.

Madame !

MADAME DE SAULIEU.

Madame !

LA COMTESSE.

Je vous souhaite le bonjour, madame.

MADAME DE SAULIEU.

Camille n'est pas revenue de son pèlerinage ?

LA COMTESSE.

Pas encore ! Voulez-vous vous asseoir ici en l'attendant ? (Elle lui montre le banc à droite sur lequel madame de Saulieu s'assoit en étalant ses jupes, de façon que la comtesse ne peut trouver place à côté d'elle ; Achille, voyant l'impatience de la comtesse, s'empresse de lui offrir une chaise. - S'asseyant.) Comment avez-vous passé la nuit, madame ?

MADAME DE SAULIEU.

Très bien, madame, si ce n'est que le bruit du vent dans les arbres m'a réveillée deux ou trois fois en sursaut.

LA COMTESSE, amère.

Ah ! malheureusement, madame, je ne commande pas aux éléments, sans quoi je me serais fait un devoir de vous épargner ce désagrément.

ACHILLE, à part.

Bon, voilà le tournoi qui commence !

MADAME DE SAULIEU.

Je vous suis obligée, madame. Mais on ne commande pas plus à ses goûts et à ses habitudes qu'aux éléments. Moi, vous le savez, je suis une Parisienne endurcie... j'ai une horreur naturelle de la campagne. Toujours des arbres, de la verdure.., pas une maison, pas un magasin... rien ! Et puis, si l'on est malade, pas de médecins... Enfin, vous m'avouerez que la pensée de mourir à la campagne est abominable.

LA COMTESSE.

Heureusement, madame, l'état de votre santé ne fait pas augurer de catastrophes prochaines.

MADAME DE SAULIEU.

Mon Dieu ! madame, tout le monde n'a pas le privilège d'être diaphane.

ACHILLE, intervenant.

Hem ! (A madame de Saulieu.) Mais la mer, madame, nous avons la mer à deux pas d'ici... En général, les Parisiennes les plus fanatiques aiment assez la mer*.

* La comtesse, madame de Saulieu, assises. Achille debout, derrière le banc.

MADAME DE SAULIEU.

Mais, c'est qu'elle m'agace, moi, la mer ! Quand je suis sur la plage, je m'assois le dos tourné à la mer : vous m'avouerez que ce mouvement sempiternel... cette mer qui s'en va, qui revient... on ne sait pas pourquoi... c'est irritant.

LA COMTESSE.

On ne sait pas pourquoi est fort !... Vous n'ignorez pas, cependant, madame, je suppose, que la mer est soumise à l'influence des lunaisons ?

MADAME DE SAULIEU.

Je ne sais pas, madame, si elle est soumise à l'influence des lunaisons, et je m'en soucie peu ;... mais je sais qu'elle m'agace, voilà ce qu'il y a de certain... Au reste, malgré tous ses inconvénients, je comprends la campagne pendant deux ou trois mois de l'été... Mais si M. de Vardes prend l'habitude de prolonger la saison jusqu'au fond de l'hiver, si surtout il a sérieusement l'intention, comme on le murmure, de s'établir ici à demeure l'an prochain... je ne dis rien, je n'ai rien à dire... mais je plains ma fille... Qu'en pensez-vous, Achille ?

ACHILLE.

Vous avez raison, madame, cent fois raison.

LA COMTESSE, se levant, et gagnant le milieu de la scène.

Oh ! sans doute. Je sais que certaines personnes ne croient pas vivre si elles ne fatiguent pas vingt chevaux et deux ou trois cochers chaque hiver, à courir de fête en fête jusqu'à l'aurore.

MADAME DE SAULIEU, se levant.

Ma fille depuis deux ans n'a pas posé le pied dans un bal, madame, permettez-moi de vous le rappeler.

LA COMTESSE.

Oh ! je le sais... maintenant... c'est autre chose : ce sont les théâtres, la poésie... on rêve un salon artistique !... Tout cela est parfait ! Mais si mon fils, ayant quelque égard pour mon âge et pour mes goûts, comprenant mieux d'ailleurs les devoirs d'un gentilhomme, se détermine à mener, dans la demeure de ses pères, une vie occupée, honorable, patriarcale, malgré ceux que cela fâche, je suis désespérée de ne pouvoir lui donner tort... Qu'en pense monsieur Achille ?

ACHILLE.

Vous avez parfaitement raison, madame *.

* La comtesse, Achille, madame de Saulieu.

MADAME DE SAULIEU.

Eh ! vous disiez le contraire tout à l'heure !

LA COMTESSE.

Justement !

ACHILLE.

Mon Dieu ! sans doute ; jamais je ne contrarie les femmes, moi... je suis toujours de leur avis.

LA COMTESSE.

Ce n'est pas toujours le moyen de s'en faire bien venir, jeune homme.

ACHILLE, souriant.

Mais je m'en aperçois, madame la comtesse, je m'en aperçois.