SCÈNE II

GONTRAN, ACHILLE.

GONTRAN s'assoit sur un arbre renversé à droite, et regardant à sa montre.

C'est vrai, nous sommes en avance. Dis-moi, Achille, à tout événement, fais-moi donc le plaisir de prendre cette clef... la clef de mon secrétaire... Il suffit que je l'aie sur moi, mais enfin, j'aime mieux te la donner.

ACHILLE, prenant la clef.

C'est tout, mon ami ?

GONTRAN.

Mon Dieu ! oui.

ACHILLE.

Puisque tu me parles de cela... dis-moi... tu n'as vu personne avant de sortir de chez toi ?

GONTRAN.

J'ai embrassé ma fille.

ACHILLE.

Et elle ?... Tu n'as rien à me dire pour Camille ?

GONTRAN.

Rien.

ACHILLE.

Tu es sûr, mon ami ? Rien.

ACHILLE.

Gontran, tu le devines... Je ne suis pas dupe du prétexte de ce combat : je sais tout... Oh ! tu peux être tranquille... Mais puisque le hasard nous donne cette minute de tête-à-tête, me permets-tu de te parler comme un homme à un homme, comme un frère à un frère ? Me le permets-tu ?

GONTRAN.

Eh ! je te le permets... Mais je sais ce que tu vas me dire... et c'est bien inutile... Que veux-tu ? C'est un malheur, mais quoi ? après ? Quand je l'aurais provoqué, ce malheur, quand j'aurais eu des torts, - et j'en ai eu, un, du moins, très réel, c'était d'introduire dans ma maison, près de ma fille, pour obéir à un fol entraînement, une famille de gens suspects, - eh bien ! ensuite ? En suis-je moins offensé ? Mon honneur en parle-t-il moins haut ? Faut-il pour cela que j'aille tendre la main à l'homme qui m'a outragé, et ouvrir mes bras à la femme qui m'a trahi ?... Est-ce là ce que tu veux ? Voyons, parle !

ACHILLE, avec gravité.

Ah ! tu sais bien que je ne te demande pas cela ! Je suis du monde comme toi... j'en ai les idées, les sentiments, bons ou mauvais... j'en connais les lois ! Mais je n'oublie pas, et je ne crains pas de rappeler en ce moment à un cœur ferme comme le tien qu'au-dessus des lois du monde il y en a d'autres qu'il est bon aussi d'écouter... Eh bien ! quand tu fais tout pour l'honneur, ne feras-tu rien pour la justice ?

GONTRAN.

Mais enfin, je ne sais pas ce que tu me demandes !

ACHILLE.

Ne penses-tu pas, Gontran, que tu ferais une noble action, une action qui te contenterait l'âme, si tu t'élevais au-dessus de ton ressentiment, tout légitime qu'il est, pour ne voir un instant dans celle qui t'a offensé qu'une infortunée... qui souffre cruellement... au delà peut-être de ce qui est juste... Si tu lui adressais, à cette pauvre coupable, un mot... un seul mot, non pas de pardon, mais de bonté, d'équité... un mot qui tomberait comme du ciel... sur ce cœur brisé... (Il lui tend une page déchirée de son portefeuille.) Ce serait bien ! ce serait grand ! Un seul mot !

GONTRAN, qui a pris la feuille en hésitant, parait lutter un moment, puis se levant tout à coup.

Je ne puis pas !

Au même Instant, Trévélyan parait à droite, suivi des deux témoins dont l'un porte des épées, et de Seillanes, qui porte une boite de pistolets.