LES MÊMES ; HÉLÈNE, entrant par la droite, second plan.
HÉLÈNE, affairée.
Ah ! mon cousin, je vous cherchais... Bonjour, grand'mère.
Elle va embrasser madame de Saulieu.
MADAME DE SAULIEU.
Bonjour, ma mignonne.
HÉLÈNE, elle va embrasser la comtesse.
Bonjour, mon autre grand'mère.
LA COMTESSE.
Bonjour, petite fille.
HÉLÈNE.
Mon cousin, êtes-vous toujours le plus obligeant des hommes ?
ACHILLE.
Toujours, mademoiselle... je suis même trop obligeant... demandez plutôt à ces dames... elles me le reprochaient encore tout à l'heure.
HÉLÈNE *.
Eh bien ! vous pouvez me rendre ce matin un service, mais un de ces services, voyez-vous, qu'on ne paie qu'avec son sang !
* Madame de Saulieu va s'asseoir à droite.
ACHILLE.
Ordonnez !
HÉLÈNE.
Vous allez monter à cheval, faire un temps de galop jusqu'à la ville...
ACHILLE, l'interrompant.
Aller chez votre marchande de modes !
HÉLÈNE.
Comment avez-vous deviné cela ?
ACHILLE.
Vous me parlez d'un service qu'on ne peut payer qu'avec son sang.
HÉLÈNE.
C'est juste ! Et vous me rapporterez bien précieusement dans un petit carton...
ACHILLE.
Des plumes pour votre chapeau !
HÉLÈNE.
Mais il est sorcier !
ACHILLE.
N'avez-vous pas dit l'autre soir que votre panache tournait décidément au saule pleureur ? Vous voyez l'enchaînement de mes idées !
HÉLÈNE.
Dieu ! quelle mémoire vous avez ! Eh bien ! vous allez partir vite, vite... n'est-ce pas ? afin d'être revenu quand nous aurons fini de déjeuner.
ACHILLE.
Pardon, mademoiselle, je vais hasarder une observation... qui vous paraîtra fort inconvenante... mais elle m'échappe du cœur- quand déjeunerai-je, moi ?
HÉLÈNE.
Oh ! fi, mon cousin, quel détail !
ACHILLE.
Mais quand on doit courir toute la journée à cheval !
LA COMTESSE.
Mon Dieu, mon enfant, puisque cette commission cause tant d'embarras à M. Achille (Mouvement d'Achille.), ne pourrais-tu envoyer un domestique ?
HÉLÉNE.
Oh ! non, grand'mère, c'est impossible. Un domestique ne saurait pas choisir ; mon cousin a beaucoup de goût t je me fie à lui, et je tiens particulièrement à n'avoir pas l'ombre d'une tache dans ma toilette aujourd'hui ; vous savez que nous attendons madame Dumesnil, une merveille, un éblouissement, et il faut lutter si on peut. (Passant.) Aussi, je me suis arrangé un costume de chasse, grand'mère... un rêve du ciel. (A madame de Saulieu.) Voulez-vous venir le voir ?
MADAME DE SAULIEU, se levant.
Très volontiers, ma chérie... tu sais combien j'aime ces fanfreluches.
HÉLÈNE, passant, à la comtesse.
Et vous aussi, grand'mère, vous venez ?
LA COMTESSE, traversant.
Soit, quoique je n'approuve pas au même degré que madame ta passion pour les chiffons ; au surplus, toi, du moins, tu es à un âge où ces folies sont excusables...
MADAME DE SAULIEU.
Mon Dieu, madame, je ne vois pas qu'à aucun âge il y ait nécessité de se mettre de façon à effrayer les oiseaux... Passez donc, madame.
LA COMTESSE.
Je suis chez moi, madame.
Madame de Saulieu passe. - Elles sortent entre les deux massifs qui ferment la scène sur le premier plan, puis s'éloignent à droite.
HÉLÈNE, les suivant, puis revenant.
Ah ! mon Dieu, j'oubliais... bleues, les plumes, mon cousin, bleues, n'est-ce pas ? et comme on les porte maintenant... en forme d'aile à demi déployée ; qu'on voie que je vais m'envoler ; enfin... (Elle fait deux pas, puis se retournant.), que si je ne m'envole pas, c'est que je ne veux pas !
ACHILLE.
Comptez sur moi !
HÉLÈNE, montrant sa tête à l'angle du massif.
Mon cousin ! vous savez que je vous adore !
ACHILLE.
Vous ne me le diriez pas !
Hélène sort à droite.