SCÈNE VII

LES MÊMES, HÉLÈNE, CAMILLE.

GONTRAN, à Hélène.

Ma chère enfant, impossible !... il ne veut pas me croire !*
* Gontran, Hélène, Camille, Achille.

ACHILLE regarde avec anxiété Hélène qui lui sourit, puis, saisissant la main de Camille.

Comment** ! c'est vrai ! c'est possible ! Eh bien ! je suis heureux... mais heureux ! Là... tenez... j'ai envie de pleurer !... (Il s'essuie les yeux. A Camille.) Ah ! ma chère amie ! (Prenant les mains d'Hélène.) Ah ! chère enfant !... me trouveriez-vous ridicule si je me mettais à genoux ?
** Gontran, Hélène, Achille, Camille.

HÉLÈNE.

Non.

ACHILLE.

Eh bien ! je n'ose pas... mais c'est égal, je vous aime bien, allez !

HÉLÈNE.

Mon ami ! (S'approchant de sa mère et l'embrassant.) Ah ! je suis heureuse !

CAMILLE, elle est à droite près de sa fille ; Gontran est debout à gauche et écoute avec un intérêt croissant. Achille l'observe avec anxiété.

Tu es heureuse, mon enfant ? Eh bien ! tu peux l'être toujours. Cela dépend de toi. Je ne crains pas de te le dire devant ton mari. Cela dépend de toi. Car nous sommes coupables souvent, ma fille, crois-moi, de nos malheurs autant que de nos fautes. Ne demande pas trop à la vie... elle est douce, la vie... elle a des heures divines, tu le sais déjà... mais pourtant ce n'est pas le ciel... N'exige pas trop non plus du cœur de ton mari. Les hommes, les meilleurs, les plus nobles, ont leurs instants de distraction, de défaillance... et puis, ils ont leurs goûts, leurs plaisirs, comme nous les nôtres... et enfin il ne faut pas oublier qu'ils soutiennent la part la plus lourde de l'existence commune. Ne laisse jamais surtout se glisser dans ton cœur ni dans ton langage cette amertume, cette aigreur qui flétrit peu à peu, qui détruit toute confiance et toute intimité !... un seul mot de tendresse peut prévenir tant de douleurs ! Sois bonne, et sois brave ! Sois brave ! car le courage c'est le devoir, et le devoir c'est la vérité, c'est l'éternelle consolation ! (Avec beaucoup d'émotion.) Enfin, ne t'abandonne pas... et Dieu ne t'abandonnera jamais !... Allez, maintenant, allez tous deux promener votre bonheur au soleil !

Hélène baise la main de sa mère et prend le bras d'Achille. Tous deux sont près de sortir.

GONTRAN, faisant un pas vers eux, et ramenant Achille.

Achille ! pardon, mon ami, il me paraît assez singulier de te parler le langage d'un père... c'est chose nouvelle dans ma bouche, mais enfin il s'agit du bonheur de ma fille.

Il passe près de sa fille*.
Achille, Gontran, Hélène, Camille.

ACHILLE.

Mon ami !...

GONTRAN, retenant avec peine son émotion.

Eh bien ! je recommande également à Hélène les vertus que lui recommandait sa mère... le courage, la bonté, la résignation, au besoin... mais toi, mon ami, je t'en prie, ne mets pas ces vertus à une trop forte épreuve. Compte sur elles, mais n'en abuse pas. (Camille écoute à son tour avec anxiété.) Nous sommes, nous autres, mon ami, un peu trop portés à traiter d'illusions, de chimères, de rêveries, les sentiments et les idées qu'une âme délicate, comme celle d'une femme, doit naturellement concevoir... Nous sommes trop portés à repousser, à refouler dans un cœur- qui souffre quelquefois... des élans, des effusions... dont la source n'est peut-être pas sans noblesse... car, après tout... que prouve tout cela ? Qu'une femme ne vit pas seulement de pain, de cachemires et de dentelles, - qu'elle a une âme... et que cette âme aussi a le droit de vivre... et veut être respectée... Et à ce compte-là, Hélène aussi sera une femme romanesque... je l'espère... je m'en flatte... et je te la donne pour telle. (Il fait passer sa fille près d'Achille.)Respecte donc l'âme sainte, l'âme fière que je te confie ! N'oublie jamais que cette élévation, cette passion, cette fierté - dussent-elles t'importuner à quelque heure d'insouciant égoïsme... sont des trésors sacrés qu'on ne dédaigne pas, qu'on n'outrage pas impunément ! Crois-moi ! (Avec beaucoup d'émotion.) Ah ! crois-moi, mon ami, ton bonheur et le sien sont à ce prix !

ACHILLE, lui serrant la main.

Je te crois... compte sur moi !...

Il prend le bras d'Hélène et s'éloigne à gauche ; Gontran les conduit Jusqu'à la porte.