HENRI seul, puis LAURE.
HENRI.
(La rappelant à demi-voix.) Thérèse !... (Il écoute avec anxiété.) Le piano s'arrête !... C'est fait ! - Il s'agit maintenant de bien se tenir... Moi qui me croyais complètement guéri !... Et, en réalité, je l'étais ! - Mais la retrouver veuve tout à coup, c'est troublant,... c'est profondément troublant !... Sans compter que je vais nécessairement rouvrir la source des larmes... Je vais avoir des scènes de désespoir... Elle adorait cet animal... (se reprenant.) ce malheureux Gaston !
LAURE, entrant à gauche ; gaiement.
Comment !... c'est possible !... Ah ! quelle bonne surprise !
Elle lui tend la main.
HENRI, avec embarras.
Ma chère cousine !
LAURE.
Mais je vous croyais aux antipodes !
HENRI.
J'en arrive,... et c'est mon excuse, ma cousine, pour tomber si maladroitement chez vous au milieu d'un deuil que j'ignorais...
LAURE, se rappelant qu'elle est veuve et changeant de ton
Comment ! vous ne saviez pas ?...
HENRI
Pas du tout... C'est votre femme de chambre qui vient de me l'apprendre à l'instant... Vous m'en voyez encore tout bouleversé !...
LAURE, avec contrainte.
Ah ! oui,... bien éprouvée !
Henri, ne sachant que lui dire, soupire et lui serre cordialement la main.
LAURE, du même ton pénétré.
Moi que vous avez connue si vive,... si gaie,... si en train, n'est-ce pas ?
HENRI.
Oui !... Ah ! mon Dieu ! que voulez-vous ?... c'est la vie !... et malheureusement, contre de pareilles douleurs, toutes les consolations sont impuissantes... Le temps... le temps seul...
LAURE.
Hélas ! oui... Mon Dieu, oui !
HENRI.
Et vous demeurez ici avec monsieur votre oncle, m'a-t-on dit ?
LAURE.
Oui, mon cousin ; mon bon oncle a bien voulu habiter avec moi... depuis...
HENRI.
Depuis la catastrophe ?
LAURE.
Oui.
HENRI.
Et il va bien, monsieur votre oncle ;
LAURE.
Non,... pas trop bien... Il a la goutte en ce moment.
HENRI.
Ah ! vraiment !... Ah ! pauvre homme !... Enfin, avec une garde-malade comme vous !... Eh bien ! ma chère cousine, je vous remercie de votre accueil si amical... Vous êtes mille fois bonne de m'avoir pardonné mon indiscrétion,... mais je ne veux pas la prolonger... Je me retire...
LAURE.
Comment I vous vous en allez ?... Et où allez-vous ?
HENRI.
Je vais regagner la gare en me promenant tout doucement. Il fait très beau ce soir...
LAURE.
Pas tant !... Il neige !- Et puis, voyons, vous ne pouvez pas me quitter comme cela au bout de cinq minutes, - après cinq ans d'absence... Un parent ! un vieil ami !... D'ailleurs, vous n'avez pas dîné... Où dînerez-vous ?
HENRI.
Oh ! ma cousine,... un voyageur comme moi !...
LAURE.
Enfin, un voyageur dîne comme tout le monde... Dînez avec moi, je vous ferai conduire ensuite à la gare... Justement je dîne seule aujourd'hui... mon oncle garde la chambre... et, vous voyez, j'ai fait dresser mon petit couvert dans ce boudoir au coin du feu, parce que la salle à manger est trop froide.
HENRI.
C'est une bonne idée.
LAURE.
Eh bien ! restez !... Ce sera une charité.
HENRI.
Si c'est une charité, ma cousine !...
Il l'observe curieusement pendant tout ce dialogue.